Les bâtisseurs du XXIème siècle
Par Nicolas DOMONT
Gérant associé
Les dernières semaines ont vu s’intensifier les annonces d’investissements colossaux dans les grandes tendances structurelles qui redessinent nos économies : intelligence artificielle, transition énergétique, voitures autonomes, robotique intelligente, automatisation, cybersécurité, santé connectée, traitement des maladies graves (Alzheimer, cancers, …), espace et informatique quantique. Les géants technologiques et industriels multiplient les partenariats pour sécuriser leur accès aux ressources rares, qu’il s’agisse de puissance de calcul, d’énergie ou de talents. Apple et SpaceX ont scellé un accord pour la connectivité satellitaire de nouvelle génération, Microsoft renforce son alliance avec OpenAI, Google signe un contrat record avec Nvidia pour garantir son approvisionnement en GPU, pendant qu’Amazon investit dans des datacenters à énergie bas carbone. Ces mouvements témoignent d’un changement de paradigme : la croissance mondiale se redéfinit non plus autour de la consommation, mais autour de la production et du contrôle des moyens techniques.
Dans ce contexte, investir dans son outil de production n’est plus une décision stratégique mais une question de survie. Les entreprises doivent constamment moderniser leurs infrastructures pour rester au niveau du marché : datacenters, usines de semi-conducteurs, réseaux d’énergie, chaînes logistiques robotisées. La capacité à capter les mégatendances devient une barrière à l’entrée. Ce n’est plus seulement une course à la taille, mais à la vitesse d’adaptation. Ceux qui investissent aujourd’hui, à l’image de TSMC, Microsoft ou Siemens, posent les fondations de leurs marges de demain ; ceux qui attendent seront irrémédiablement relégués.
Le prix Nobel d’économie 2025, attribué à Philippe Aghion et Peter Howitt, vient rappeler la logique profonde de ce capitalisme de transformation : la croissance est le fruit d’une destruction créatrice permanente. Chaque innovation remplace la précédente, rendant l’ancienne technologie obsolète et redistribuant les cartes entre gagnants et perdants. Les profits de rente financent la recherche et développement, jusqu’à ce qu’une innovation suivante les balaye à son tour. Les lauréats soulignent que l’excès comme l’absence de concurrence peuvent étouffer l’innovation : trop peu de rivalité et les monopoles se figent ; trop de rivalité et les profits disparaissent avant de financer la prochaine vague. L’Etat doit donc arbitrer avec finesse entre protection et stimulation, pour que le progrès reste un moteur collectif.
Ce mécanisme s’observe aujourd’hui dans la course mondiale à l’intelligence artificielle. La demande de puissance de calcul s’envole, les cycles d’innovation se contractent et les gains de productivité deviennent vertigineux. Chez Google, environ 25 % du code interne est désormais généré par l’IA. Microsoft rapporte des gains d’efficacité de 40 à 50 % sur certaines tâches techniques.
Au-delà de la technologie, c’est tout un modèle industriel qui se reconstruit : de la puce au logiciel, de l’énergie au cloud, la chaîne de valeur devient intégrée et mondialisée. Dans le même temps, l’IA se démocratise : copilotes professionnels, santé prédictive, apprentissage individualisé, gestion automatisée du quotidien. La technologie s’installe partout, de l’usine au salon.
Contrairement à la bulle Internet des années 2000, la dynamique actuelle n’a rien de purement spéculative : elle repose sur une transformation industrielle et technologique de grande ampleur. Les entreprises investissent à la fois pour renforcer leurs capacités de production et pour exploiter plus efficacement celles déjà en place. La valeur ne se déplace pas uniquement vers ceux qui construisent les infrastructures, mais aussi vers ceux qui savent les utiliser, les optimiser et les intégrer à leurs modèles économiques. Les capitalisations traduisent désormais cette double réalité : la matérialité des moyens de production via les datacenters, semi-conducteurs, énergie, et la créativité de ceux qui en tirent des applications concrètes, de l’intelligence artificielle à la santé connectée. Dans cette dynamique, chacun cherche à posséder à tout prix l’outil de production nécessaire pour rester dans la mégatendance.
L’innovation n’est plus un pari sur l’avenir, mais un impératif de productivité.
Rédigé le 5 novembre 2025
