Benjamin PHILIPPE fon opti x600Le Paradoxe.

Par Nicolas DOMONT

Gérant associé

Le premier semestre 2025 a été marqué par un mouvement spectaculaire sur le marché des changes. L’euro s’est apprécié de près de 14% face au dollar, de 1,03 à 1,17, un bond rare hors période de crise. Ce décalage, dans un contexte macroéconomique globalement stable, reflète une perte de confiance inédite dans la devise américaine.

Cette dépréciation du dollar s’est accompagnée d’une remontée brutale des taux longs américains : le taux à 10 ans est passé de 3,80 % à 4,50 %. Cette hausse n’est pas le symptôme d’une économie en surchauffe mais celui d’un ajustement de la prime de risque sur la dette américaine. En cause : un déficit public qui s’aggrave, l’absence de cap fiscal clair et l’annonce d’un relèvement généralisé des droits de douane par Donald Trump. Les investisseurs ont réagi en allégeant massivement leurs expositions aux obligations d’état américaines.

Le dollar, longtemps considéré comme valeur refuge, voit ce statut remis en question. Certes, il bénéficie encore d’un avantage en matière de rendement, mais cela ne suffit plus. Dans un contexte géopolitique de plus en plus imprévisible, les investisseurs réclament une plus grande discipline budgétaire. L’instabilité l’emporte désormais sur les fondamentaux.

Les banques centrales ont accentué les divergences. La FED maintient ses taux entre 4,25 % et 4,50 % face à une inflation sous-jacente stable à 2,8 %, mais toujours au-dessus de sa cible. La prudence domine : Jerome Powell attend de mesurer l’impact des tensions commerciales avant de prendre des mesures.

A l’inverse, la BCE a déjà amorcé un cycle de baisse des taux, ramenant le taux de dépôt à 2 % avec une inflation sous-jacente retombée à 2,3 %. En Europe, la priorité est donnée au soutien de l’activité dans un cadre jugé crédible. Le 20 juin, la BNS a pris un virage plus marqué en abaissant son taux directeur à 0 %, avec une inflation négative (-0,1 % en mai) et une appréciation du franc suisse de plus de 13 % face au dollar. Elle n’exclut plus un retour aux taux négatifs ni des interventions directes sur les changes.

Ce climat d’incertitude alimente les marchés de flux. Dans un tel environnement, les prix ne sont plus dictés par les fondamentaux, mais par la mécanique des flux : couvertures, arbitrages macroéconomiques, rotations de portefeuilles. Paradoxalement, alors même que les primes de rendement devraient encourager un positionnement rationnel sur le dollar, les réactions techniques, souvent empreintes d’émotion, prennent le dessus sur l’analyse fondamentale. Le dollar subit ainsi la pression d’un déséquilibre transitoire où les considérations de rendement sont temporairement éclipsées par les flux émotionnels.

Aujourd’hui, les investisseurs privilégient les actifs en fonction des critères tels que la stabilité politique, la trajectoire budgétaire et la lisibilité stratégique. L’euro, le franc suisse et l’or retrouvent leur statut de valeurs refuges. Le dollar, bien qu’il reste central, n’est plus sans rival.

Dans ce nouveau régime de marché, la géopolitique l’emporte sur la macroéconomie. La politique commerciale américaine, imprévisible, influe directement sur les anticipations. La confiance des investisseurs se construit désormais davantage sur la clarté des politiques économiques, la crédibilité des stratégies fiscales à long terme et la capacité des gouvernements à tenir leurs engagements budgétaires, plutôt que sur la seule puissance économique ou l'ampleur immédiate de leur domestique.

Agilité et exposition aux secteurs en croissance ainsi qu'aux actifs réels resteront clés pour naviguer ce régime de marché.

Rédigé le 1er juillet 2025