Optigestion - Edito - Janvier 2022 JDPP_2021

Le dilemme des banques centrales

Par Jacques DE PANISSE

Président, Gérant et Associé

L’année 2022 débute avec une décision notable de la banque centrale américaine qui confirme son changement de cap et donne le ton. Après avoir baissé pendant 40 ans, les taux d’intérêt sont désormais orientés à la hausse. La FED va diminuer rapidement ses achats d’actifs puis augmenter progressivement ses taux directeurs et réduire son bilan.
Le risque inflationniste, longtemps qualifié de temporaire, est désormais perçu comme suffisamment significatif et persistant pour justifier l’utilisation de toute la palette d’outils disponibles pour empêcher le retour de l’inflation. Celle-ci a cependant un avantage appréciable, elle permet de réduire de façon efficace et quasi-indolore le véritable coût du remboursement de la dette.


Il est vrai que ce genre de constat entraîne rarement un excès de communication.
L’enjeu pour la FED pourrait consister à rassurer les marchés conformistes par des postures exigeantes tout en recherchant le juste compromis, susceptible de préserver une croissance pas aussi vigoureuse qu’il n’y paraît et d’éviter l’emballement inflationniste. Les économistes surveillent l’impact d’une hausse des prix qui pourrait diminuer le pouvoir d’achat et entraîner un courant de hausse des salaires.
Il paraît de plus en plus manifeste que cette crise du Covid aura accentué l’écart entre la rentabilité du travail et celle des biens réels ou des actifs financiers qui se sont beaucoup appréciés. Le décalage est très considérable et suggère une probable remise à niveau afin d’éviter d’irrémédiables déséquilibres.
Pour l’instant, notamment aux Etats-Unis, le matelas d’épargne constitué pendant la crise du Covid du fait des largesses distribuées par le gouvernement permet de compenser les effets de la hausse des prix. L’inflation annuelle a progressé de 6,8% à fin novembre, le taux de chômage, à 3,9%, est presque au plus bas, le salaire horaire moyen a augmenté de 4,7% en 2021. Il est probable que des tensions vont apparaître sur le marché du travail et que des augmentations de salaire s’imposeront aux entreprises dès 2022.
Ce mécanisme mérite d’être suivi de près. En effet, une fois enclenché il se répand et nourrit une hausse des prix qui se généralise rapidement.
Une seconde métrique est particulièrement sensible dans le contexte actuel, le coût de l’énergie. La mise en œuvre hâtive de la transition énergétique semble vouloir pénaliser les énergies fossiles alors même qu’elles s’avèrent encore indispensables. Tandis que le recours au nucléaire semble encore très hésitant, la baisse brutale des investissements d’exploration ne peut que favoriser un renchérissement des cours du pétrole et du gaz d’autant que la contribution des énergies alternatives semble, à l’usage, avoir été surestimée. De ce fait, le coût de l’énergie pourrait continuer d’augmenter dans les mois, voire les années, à venir.
La hausse probable des salaires et des cours du pétrole devrait encourager une tendance ascendante des prix de nombreux produits et services.
Cette situation est sans doute moins marquée en Europe qu’aux Etats-Unis où la hausse des taux devrait être plus rapprochée et plus significative.
Ce mouvement est à l’origine d’une forte rotation sectorielle. Les valeurs fortement valorisées du fait de leur croissance élevée et les sociétés très endettées sont les plus pénalisées par la hausse des taux. A l’inverse, les valeurs cycliques et les sociétés liées aux matières premières s’apprécient.

Cependant, cette réaction pourrait n’être que temporaire, soit pour des raisons de fond, du fait d’une croissance qui s’essoufflerait, incitant la FED à revoir l’ampleur et le calendrier de ses interventions, soit pour des raisons de marché, les grandes valeurs technologiques américaines (GAFAM) devenant des valeurs refuge du fait de leur toute-puissance, renforcée par les tensions avec la Chine, et de leur solidité adossée à une trésorerie gigantesque.
L’Europe est moins exposée à la hausse des prix et moins avancée dans le cycle économique que l’Amérique. Elle continue néanmoins d’être tributaire des tendances imprimées par Wall Street qui demeure le marché dominant.

Rédigé le 10 janvier 2022